Un autre bandeau …

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Elle relut la lettre. L’auteur inconnu lui proposait un jeu à la fois pervers et intriguant : il voulait devenir son ami le plus intime, son confident, mais ne voulait pas révéler son identité. Elle devait deviner qui il était. Etait-il trop timide pour l’aborder ? Etait-il trop laid ou trop vieux ? En tout cas il savait écrire, et sa lettre exerçait sur elle une étrange fascination. Elle était flattée que quelqu’un qui savait écrire des lettres aussi belles s’intéressât à elle. Après tout, elle était très quelconque, sans originalité, remarquable en rien, timide, et n’avait pas d’amis véritables.

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Comme toutes les jeunes filles de son âge, elle rêvait de vivre une aventure hors du commun, d’être adulée et aimée comme dans les romans. Elle attendait l’Homme de sa vie, ne savait pas encore embrasser avec la langue, et se sentait une Cendrillon d’avant le bal. Quand ses parents l’emmenaient danser le soir, elle prenait soin de rester sage, en fille d’institutrice de village bien élevée. Il y avait bien quelque garçons qui tentaient de la peloter un peu au passage, mais la crainte du regard maternelle l’avait toujours incité à ce dégager de ces étreintes, dont elle se souvenait avec envie une fois couchée.

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Et aujourd’hui, voilà qu’un inconnu lui proposait une relation extraordinaire. Il ne parlait pas de sexe ni même d’amour, seulement de confiance, de dévouement et de fidélité. Cet ami sans nom serait son ticket pour un monde dans lequel elle serait princesse. Elle aurait un ami, qui deviendrait peut-être son amant un jour si elle le démasquait. Cette idée lui paraissait romantique et romanesque à la fois. Il disait ne pas vouloir précipiter les choses : le désir et la faiblesse des corps faussaient les relations humaines, et en éliminant tout contact physique ils ne pourraient que vivre plus intensément leur relation. Elle qui croyait en l’amour et confondait encore désir et sentiment fut séduite d’emblée. Elle se sentait coupable d’accepter cette liaison imaginaire, plus encore que si elle avait une vraie aventure secrète. Le mystère de la perversité de ce qu’elle se préparait à vivre l’effrayaient et l’enivraient. C’était un bien étrange cadeau d’anniversaire.

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Elle fit ce qu’il lui demandait : pour signifier sont acceptation, elle mit une jupe le lundi suivant.
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( Extraits : Le bandeau – Jean-François Mopin )
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